Prévention et traitement des blessures de l’uretère en chirurgie gynécologique
Jean-Bernard DUBUISSON(a), Jean DUBUISSON(b), Genève*
L’uretère, organe majeur qui traverse de chaque côté le pelvis féminin, mérite encore beaucoup d’intérêt, même si on estime bien le connaître. Blesser un uretère est toujours un problème grave mais heureusement rare. écrire un article sur les blessures de l’uretère en gynécologie pourrait paraître peu captivant, lessavoirs étant les mêmes depuis longtemps. Cela n’est plus vrai du fait des meilleures connaissances en matière de prévention et de prise en charge chirurgicale moins invasive. Ces progrès donnent beaucoup de clarté aux questions et aux réponses que ce sujet engendre.
Les mises au point rapportées dans cet article intéresseront certainement bon nombre de chirurgiens gynécologues. Bien sûr, les plus expérimentés considèrent l’uretère comme un voisin tranquille, mais ils restent toujours attentifs à sa situation et le contrôlent en permanence par la vision ou par la palpation. Pour les gynécologues ayant une expérience plus modeste, ou en cours de formation, une complication urétérale peut heureusement se gérer simplement et sans suites compliquées; mais parfois la blessure n’est pas remarquée et les ennuis s’enchaînent. Cette faute diagnostique peut entraîner des complications rénales et métaboliques majeures et même des séquelles irréversibles. Douleurs imprévues, angoisses liées au pronostic, hospitalisation plus longue, inactivité professionnelle prolongée sont toujours mal vécues par la patiente. Et par voie de conséquence, une procédure médico-légale est quelquefois mise en route. Causes de blessure de l’uretère Des blessures urétérales lors de la chirurgie gynécologique s’observent encore. En chirurgie courante, elles arrivent à une moindre fréquence qu’auparavant pour deux principales raisons. La première est que le bilan préopératoire est devenu plus précis avec l’aide de l’imagerie, de l’échographie, du scanner et de l’IRM, et le repérage de l’uretère est donc plus facile. La seconde raison est que le chirurgien d’aujourd’hui a théoriquement une formation qui lui donne la possibilité de choisir une voie d’abord mini-invasive plus adaptée, voie vaginale ou cœlioscopie qu’il maîtrise bien, associant instrumentation classique et nouvelles technologies. En revanche, en cas de chirurgie oncologique, et maintenant en cas de chirurgie complexe de l’endométriose profonde rétropéritonéale, les blessures ou les résections urétérales peuvent advenir accidentellement dans le cadre de la difficulté opératoire observée ou de la résection tumorale indispensable. La lésion survient dans 0,2 à 1,5 % des opérations gynécologiques pelviennes. • L’hystérectomie représente la cause de ces lésions dans plus de 50 % des cas, avec reconnaissance immédiate dans seulement un tiers des situations. L’hystérectomie est faite dans la majorité des cas pour une pathologie bénigne, fibrome ou adénomyose. La lésion urétérale s’observe plus classiquement au cours des hystérectomies radicales et de la radiothérapie postopératoire (2 %). Cette fréquence a été réévaluée récemment par Adelman et coll. avec 0,73 % pour l’hystérectomie par cœlioscopie (1). Les zones dangereuses de l’hystérectomie sont bien connues ; la première étant le croisement des vaisseaux utérins. Au cours de l’hystérectomie totale, l’occlusion et la section des artères utérines sont faites au niveau de l’orifice interne du col. La distance entre le col et l’uretère est à ce niveau de 2 cm en général. On comprend pourquoi une hémorragie mal gérée ou une mauvaise vision peut ici expliquer une mauvaise hémostase et une ligature ou une brûlure de l’uretère. Le geste qui consiste à tirer vers le haut l’utérus éloigne l’uretère. Le risque est plus faible en cas d’hystérectomie subtotale. La deuxième zone qui peut être dangereuse est le croisement des vaisseaux iliaques et la région du ligament infundibulo-pelvien, environ 25 % des cas. Le risque s’observe au cours d’une annexectomie difficile, du fait d’adhérences, de cancer ou d’endométriose. L’obésité aggrave le risque, surtout au niveau des dissections proches du côlon sigmoïde. Les autres zones moins souvent impliquées sont la colpotomie et sa fermeture, en cas d’hémorragie ou de suture des angles parfois difficile. Plus rarement aussi lors de la repéritonisation. Les taux de complications urétérales ont été étudiés dans plusieurs études importantes. Kiran et coll. ont étudié 377 073 hystérectomies faites entre 2001 et 2010, dont 1 792 (0,5 %) se sont compliquées d’une lésion urétérale (2). Après 2006, les lésions urétérales ont été analysées en fonction du type d’hystérectomie. Elles ont été plus fréquentes en cas d’hystérectomie radicale abdominale pour cancer utérin (10,7 %) qu’en cas d’hystérectomie pour pathologie bénigne (moins de 1 %). Dans ce groupe, les hystérectomies pour endométriose ont présenté une complication urétérale dans 1,7 % des cas. De même, Li et coll. ont rapporté un taux d’obstruction urétérale de 2,18 % après hystérectomie radicale avec radiothérapie postopératoire pour cancer (3). Hesselman et coll. ont analysé les cas de 25 354 patientes opérées d’hystérectomie pour lésions bénignes, entre 2000 et 2014 (4). Cette étude a aussi montré que l’endométriose augmentait le risque de lésion de l’uretère (ajustés, OR 2,15 ; IC 95 % : 1,34-3,44). Plus récemment, dans une étude rétrospective, Chang et coll. ont étudié 501 110 femmes ayant eu une hystérectomie pour lésions bénignes, entre 2012 et 2015 (5). Les types d’hystérectomie étaient les suivants: totale par laparotomie (56,7 %), totale par laparoscopie (21,1 %), subtotale par laparotomie (11,1 %), hystérectomie vaginale cœlio assistée (9,1 %), hystérectomie vaginale (7 %), subtotale par cœlioscopie (4 %). Les blessures vésico-urétérales étaient de 0,21 % pour la totalité des cas. Le taux le plus élevé de lésions urétérales était observé lors de l’hystérectomie totale cœlioscopique (0,13 %) et le plus bas lors de l’hystérectomie totale abdominale (0,04 %) (p 0,001). Le risque le plus élevé était noté lorsque l’hystérectomie totale cœlioscopique était réalisée pour endométriose (OR : 6,15 ; IC 95 % : 1,18-31,9 ; p = 0,031) et aussi pour fibromes utérins (OR : 4,15; IC 95 % : 2,13-8,11; p 0,001). L’hystérectomie radicale constitue un risque bien particulier. Les gestes de la technique l’expliquent : dissection de l’uretère jusqu’à son entrée dans le paramètre, puis sa tunnelisation jusqu’à la vessie. L’hystérectomie radicale vaginale (opération de Schauta) représente aussi le même risque. D’autant que la reconnaissance de l’uretère avec l’approche vaginale et la dissection du paramètre avec la même radicalité que la voie haute est difficile. • L’annexectomie et le lysis ovarien représentent aussi un risque de lésion urétérale. La blessure s’observe lorsque les adhérences sont sévères ou lorsque la dissection se fait avec une vision non satisfaisante. • Le cancer de l’ovaire pose souvent les mêmes difficultés opératoires avec en plus l’hémorragie qui est fréquente. • Le prolapsus des organes pelviens est aussi à citer avec les procédures suivantes : coudures de l’uretère lors des plicatures hautes des ligaments utérosacrés, colporraphie antérieure, ou même repéritonisation de la prothèse lors de la sacrocolpopexie. Cela peut toujours arriver du fait des changements anatomiques provoqués par les descentes souvent importantes du dôme vaginal et de la vessie. Cela peut également s’observer lors des colpopexies du type paravaginal repair. • Les blessures obstétricales de l’uretère au cours des césariennes et des hystérectomies d’hémostase sont rares : 0,09 % pour Eisenkop et coll. (7), de 0,027 % pour Rajasekar et coll 8). Pendant la césarienne, l’uretère peut être blessé lorsque l’hystérotomie se déchire accidentellement vers le ligament large ou sous la vessie. L’uretère peut être pris par une suture prenant accidentellement l’uretère lors d’un saignement gênant la vision. Prévention, diagnostic et traitement des lésions traumatiques de l’uretère Recommandations habituelles L’étape préalable à toute opération pelvienne est un diagnostic préopératoire précis, clinique et échographique. Cela va sans dire que IRM, uroCT scan, urographie intraveineuse peuvent être nécessaires pour le diagnostic. En cas d’opération gynécologique proche des uretères, ceux-ci sont en général visuellement faciles à repérer. Sinon, ils sont palpés au doigt en laparotomie ou par voie vaginale, ou à la pince atraumatique en cœlioscopie. Une petite pression sur l’uretère suffit en général pour le faire repter. En cas de difficulté, une urétérolyse peut être discutée (9). Lors de celle-ci, il est important d’éviter de blesser les arcades vasculaires en T et de garder au mieux le péritoine accolé à l’uretère. Les pinces d’électrocoagulation et de thermofusion devraient rester à distance des uretères. Les pinces « encore chaudes » ne devraient pas non plus toucher les uretères. En cas de tumeur pelvienne, volumineuse, même non cancéreuse, en cas d’endométriose sévère, l’uretère est souvent fixé à la partie inférieure de la lésion. L’uretère est alors repéré au niveau du promontoire. La prévention en cas de prolapsus consiste à repérer chaque point passé pour la fixation ou la suspension qui pourrait couder l’uretère, surtout en cas du procédé de plicatures de McCall ou de colpopexie ( paravaginal repair). Recommandations particulières concernant l’hystérectomie cœlioscopique La fenestration du ligament large, de chaque côté, par incision au niveau de sa pars flaccida juste sous la trompe et le ligament utéro-ovarien, libère l’uretère vers le bas, ce qui rend sans danger l’hémostase et la coagulation de l’annexe. L’utilisation d’un manipulateur intra-utérin combinant canule intra-utérine et cupule vaginale permet la mobilisation de l’utérus vers le haut et latéralement, et ainsi facilite le clivage vésico-vaginal et la coagulation section du pédicule utérin, le tout au contact de la cupule, au ras du col, à distance de l’uretère. La cupule vaginale facilite la colpotomie circulaire faite au crochet monopolaire ou aux ciseaux. Le niveau d’hémostase des vaisseaux utérins est précis. La coagulation des pédicules utérins est faite à hauteur du torus uterinum, donc au-dessus des piliers vésicaux, loin des uretères qui sont dessous. La dissection des pédicules utérins peut entraîner une hémorragie accidentelle. L’hémostase à l’aveugle par électrocoagulation est inefficace et surtout dangereuse pour l’uretère. En cœlioscopie, il est évident qu’il faut faire comme en laparotomie, c’est-à-dire : compression par une pince avec compresse, aspiration du sang
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.